Des soins de la vue dans un train désaffecté

Presque tous les vendredis, le Dr Pasqualino Marcantonio travaille au Pénitencier de Dorchester ou à l’Établissement de l’Atlantique comme optométriste auprès des délinquants. Lorsqu’il n’y est pas, c’est qu’il se trouve dans un des pays les plus pauvres au monde en train d’offrir des soins de la vue et des lunettes gratuitement.

Qu’il travaille auprès de délinquants ici ou de patients à l’étranger, le Dr Marcantonio affirme avoir remarqué une chose : les gens sont les mêmes, ils ont les mêmes espoirs, les mêmes besoins. Ce sont les barrières auxquelles certains d’entre nous faisons face qui créent les populations marginalisées.

 

Le 23 mars 2018, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, le Comité sur l’équité en matière d’emploi et la diversité (CEED) a invité le Dr Marcantonio à l’administration régionale de l’Atlantique afin qu’il discute d’un projet spécial qui lui tenait à cœur : des soins de la vue offerts dans un train désaffecté (« the Eye Train »).

 

Lancé par des optométristes canadiens, le projet vise à offrir des soins de la vue gratuitement aux habitants de l’une des collectivités les plus pauvres des Philippines.

 

Le Dr Marcantonio explique comment ses collègues et lui voyagent dans le monde, dans le cadre de séjours de deux semaines à leurs propres frais, pour offrir gratuitement des examens de la vue et des lunettes aux moins fortunés. Lors d’un séjour typique, il traite en moyenne 2 000 hommes, femmes et enfants. Améliorer leur vue, c’est améliorer leur vie.

 

Le Dr Marcantonio a commencé à participer à cette initiative en 2008, après avoir reçu tout bonnement un courriel général lui proposant de participer à un projet de soins de la vue aux Philippines. L’optométrie avait été bonne pour lui et sa famille et il avait envie de redonner, alors il s’est inscrit et s’est rendu à Manille pour deux semaines. Ce qu’il a vu et vécu là-bas l’a profondément transformé. Aider les autres est devenu une passion, et la façon dont il était le mieux outillé pour le faire, c’était en offrant des soins de la vue.  

« Les optométristes ne sauvent pas de vies et ne se rendent pas dans des zones de guerre comme Médecins sans frontières ou d’autres ONG similaires », affirme le Dr Marcantonio. « Notre force, c’est de donner la vue à des gens, ce qui facilite leur vie; une simple paire de lunettes peut changer leur vie pour le mieux. »

En 2012, il est retourné à Manille pour un projet de deux semaines organisé dans une gare centrale du pire bidonville de la ville, Tondo. Les optométristes y ont examiné environ 500 patients par jour et distribué quelque 450 paires de lunettes. Ils ont aidé des milliers de personnes chaque semaine, ce qui n’a pas empêché la file d’attente d’être encore interminable le dernier jour de leur séjour.

Avec l’aide de Nica Roma, une femme d’affaires indépendante désirant redonner à sa collectivité, les optométristes ont décidé de bâtir une clinique permanente d’optométrie offrant des services toute l’année, en plus de participer à leur projet annuel de deux semaines.

Une fondation de bienfaisance appelée la Special Philippine Eye Care Solutions Foundation (SPECS) a alors été créée pour gérer la clinique et la société des chemins de fer nationaux des Philippines (la Philippine National Railway) lui a loué le terrain à raison d’un dollar par année. Le Dr Marcantonio a ensuite dû relever tout un défi : équiper complètement une clinique d’optométrie à Manille avec un budget restreint.

À son retour, il a immédiatement envoyé un courriel à tous ses collègues optométristes pour leur expliquer le projet et leur demander leur vieil équipement. La réponse reçue a été impressionnante. En très peu de temps, il a réussi à amasser tous les instruments nécessaires pour aménager une clinique moderne au grand complet et ce, tout à fait gratuitement. La fondation à Manille a été très touchée par cet élan de générosité des optométristes du Nouveau-Brunswick.

Chaque fois que le Dr Marcantonio parlait à quelqu’un du projet et des obstacles qu’il devait surmonter pour obtenir l’équipement et le faire livrer à Manille, la réponse était : « laissez-moi faire un appel ». Chaque fois, on lui revenait avec une solution, généralement sans frais.

Un entrepôt pour abriter l’équipement, un constructeur pour créer l’équipement, du bois pour construire les caissons, un camion pour transporter l’équipement jusqu’au navire, le voyage en bateau de 30 jours jusqu’à Manille : tout cela a été rendu possible grâce à la générosité de ses collègues et de simples citoyens. Le Dr Marcantonio était impressionné et ému par leur générosité.

Pendant ce temps, à Manille, il a été décidé d’aménager la clinique dans des wagons désaffectés, gratuits. L’équipe de Manille a tout enlevé ce qui était à l’intérieur des wagons et les a lavés à l’eau sous pression avant l’arrivée du Dr Marcantonio.

Une fois à Manille, l’équipe du Dr Marcantonio a commencé la tâche ardue de réaménager le wagon désaffecté en clinique d’optométrie. Des hommes ont dû pousser les wagons sur la voie ferrée pendant environ un demi-kilomètre jusqu’à leur emplacement permanent juste à côté de la gare centrale. Ils ont même dû installer une nouvelle voie pour se rendre à l’emplacement final.

Ils ont installé les planchers et l’électricité et ont démonté les caissons d’expédition afin d’utiliser le bois pour construire les cloisons, les murs, les comptoirs et les armoires. Rien n’a été gaspillé. La plomberie, les carreaux de vinyle, la peinture et les draperies ont suivi.

Le Dr Marcantonio se dit sceptique de nature, mais ce projet lui a montré qu’on peut parvenir à de grandes choses quand on y croit vraiment.

Depuis le jour de l’ouverture en 2013, les optométristes ont examiné plus de 50 000 patients, à la clinique et dans le cadre de programmes de sensibilisation autour du bidonville. La clinique sert également à la faculté d’optométrie pour y former les étudiants de dernière année.

Le fait qu’un petit groupe d’optométristes étaient prêts à donner tout l’équipement nécessaire pour aménager une clinique d’optométrie à l’autre bout du monde et aider des personnes qu’ils ne rencontreront probablement jamais en dit long sur leur caractère et leur générosité.

Deux objets occupent une place d’honneur à l’intérieur et à l’extérieur du train : le drapeau canadien qui flotte fièrement tous les jours et la lettre d’un détenu du Pénitencier de Dorchester demandant au Dr Marcantonio que les lunettes accompagnant la lettre soient données à une personne qui en a besoin aux Philippines. Cette lettre est fièrement encadrée sur le mur du train.

« Peu importe d’où on vient, ce qu’on a vécu ou même ce qu’on a, si on en a la chance, on est pour la plupart prêts à travailler ensemble pour faire de ce monde un monde meilleur », confie le Dr Marcantonio.

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