Faire ses adieux à une carrière au SCC

Reportages

La veille du jour de l’An 2000, Mike Savard et sa petite amie, Laura, profitaient d’un repas tranquille dans un restaurant de leur localité. Tirés à quatre épingles, ils attendaient le café et le dessert quand Laura a fouillé dans son sac à main pour en sortir une petite boîte blanche qu’elle a glissée sur la table.

« Un petit cadeau », a-t-elle dit.

À l’intérieur se trouvait un médaillon en argent sur lequel la colombe de la paix des Nations Unies était gravée. Tout d’abord, il a cru qu’elle voulait souligner son travail dans le cadre de la mission récente au Kosovo, dont il était revenu il y a à peine six semaines. Cela avait été une période difficile et traumatisante pour Mike, qui venait de perdre son collègue et ami Dan Rowan dans un écrasement d’avion.

Mais il ne s’agissait pas de cela.

« Veux-tu m’épouser? », a-t-elle demandé.

Mike était surpris, mais il n’a pas hésité. Il a tout de suite dit oui.

Ayant commencé à travailler pour le SCC comme agent correctionnel le 16 juillet 1984 au Pénitencier de la Saskatchewan, la feuille de route de Mike était déjà longue et impressionnante, puisqu’il était passé de l’établissement aux collèges du personnel, puis à l’AC. Laura et lui s’étaient rencontrés par hasard au collège du personnel alors que Laura assistait à une formation et que Mike rendait visite à un ami.

Avant de se fiancer, Mike et Laura se sont fréquentés pendant 11 ans, mais le mariage ne faisait pas partie de leur plan. Il croyait que leur union était aussi officielle qu’elle ne pourrait jamais l’être, mais les événements du Kosovo ont changé la donne. Mike avait pris le même avion quelques semaines avant l’écrasement, et depuis son retour au Canada, chaque fois qu’il rencontrait des personnes qu’il connaissait, elles avaient la même réaction incrédule : « Tu es vivant! » Elles croyaient qu’il se trouvait à bord de l’avion ce jour fatidique.

Le traumatisme de la perte d’un ami proche n’a pas été sans conséquence pour lui. Il a eu de la difficulté à mettre de l’ordre dans sa tête par la suite. Il s’est mis à oublier des choses qu’il connaissait par cœur avant d’aller au Kosovo. Ses chaînes de télé préférées à la maison, le nom des gens et les sujets qu’il enseignait au collège du personnel lui échappaient soudainement. Sa mémoire lui jouait des tours. C’est là qu’il a cherché de l’aide.

« J’ai eu recours au Programme d’aide aux employés (PAE) plus d’une fois, dit-il. Je ne me rappelle pas avoir pensé que je devenais fou ou que quelque chose ne tournait pas rond, mais je me souviens avoir voulu savoir si c’était normal et si cela se replacerait. »

Mike peut nommer six incidents qui l’ont poussé, au cours de ses 31 années au SCC, à chercher de l’aide auprès du PAE et des programmes de gestion du stress à la suite d’un incident critique.

« Une de mes personnalités de la télévision favorite utilise le slogan « Sick Not Weak » (malade, pas faible) pour parler de la maladie mentale, dit-il, et je m’identifie fortement à cela. C’est facile de montrer son incapacité quand on se casse le bras parce que c’est évident. Mais ce qui se passe à l’intérieur de la tête ne se voit pas. Les répercussions d’un bras cassé sont temporaires, mais si une personne ne s’occupe pas de ce qui se passe dans sa tête, cela peut la consumer. Cela ne veut pas dire qu’elle est faible. Cela veut dire qu’elle a besoin d’aide. »

Mike est fier de la carrière qu’il a eue au SCC. Selon lui, rien ne bat la camaraderie qui l’a uni à ses collègues pendant son travail d’agent correctionnel, et même s’il a joué au sein d’innombrables équipes de hockey au fil des années, il vous dira que la meilleure équipe dont il a fait partie est l’équipe d’intervention en cas d’urgence de l’Établissement de Millhaven. Mais à cela s’ajoutent les défis liés au travail en milieu correctionnel.

« C’est parfois difficile. On développe une vigilance accrue, indique-t-il. Ce n’est pas une question de paranoïa constante ou de désastre imminent, mais on devient tellement habitué de surveiller, d’observer et de porter attention que c’est presque comme si on ne pouvait plus s’en détacher même quand on s’en va. Certaines choses demeurent tout le temps avec nous. »

C’est là une situation que Mike et son épouse ont appris à gérer au fil des années, mais cela n’a pas toujours été facile. Il y a eu des périodes où Mike se montrait irritable, tendu et impatient avec les gens autour de lui.

« C’était le genre de comportement qui pousse les gens autour de vous à croire qu’ils doivent toujours marcher sur des œufs, sinon vous risquez d’exploser comme une grenade », explique-t-il.

Le point tournant est survenu lorsque Mike est revenu à la maison après une partie de hockey avec ses amis. Ses jointures étaient meurtries et saignaient parce qu’il s’était battu. Laura en a eu assez. Elle lui a fait remarquer son comportement, lui a indiqué qu’elle constatait qu’il laissait les problèmes s’accumuler au travail plutôt que de les résoudre, et qu’il avait besoin d’aide.

Pour Mike, ce sont comme des dossiers dans sa tête. Chaque dossier représente un moment difficile. Le Kosovo est l’un d’eux, et il y en a cinq autres. Par exemple, lorsque l’un des détenus a tenté de s’enfuir et que Mike a dû tirer plusieurs coups de semonce pour l’arrêter. La situation s’est envenimée si rapidement qu’il se rappelle encore la tension dans la cour lorsque cela s’est produit. Il n’est rentré à la maison qu’à 3 heures du matin ce jour-là et se rappelle l’épuisement physique qu’il a ressenti au cours des jours qui ont suivi. Les tremblements, la fatigue, le manque d’appétit, le brouillard mental. Il savait qu’il devait consulter quelqu’un.

« Je crois que l’on sait lorsqu’il est temps de faire une mise au point, dit-il. C’est l’occasion de parler des dossiers dans votre tête. Parfois, l’un d’eux va s’ouvrir sans prévenir, comme lorsqu’on échappe une pile de feuilles de papier sur le sol de son bureau. Il faut juste s’arrêter pour les ramasser et les replacer dans le bon ordre. »

Selon Mike, la clé du succès pour un couple dont les deux membres travaillent dans le même domaine est simple : la communication et l’honnêteté. Il a appris à la dure que de laisser les problèmes couver ne fait que les aggraver. C’est pourquoi Laura et lui se sont imposé une « règle du 30 minutes ». Chaque jour, après le travail, chacun d’eux laisse à l’autre 30 minutes pour s’exprimer à propos d’une situation qui lui pèse. Cela permet d’éviter que la tension ne s’accumule et de prévenir les conflits qui découlent souvent d’une journée longue et difficile.

Mike et Laura viennent de fêter 26 ans de vie commune. En août 2015, c’était au tour de Mike de prendre sa retraite. Il y a des aspects de leur carrière qui ne les quitteront jamais, mais, comme le dit Mike, ils sont résolus à s’y adapter. Les mises au point se poursuivront au besoin, de même que la communication ouverte et honnête.

« J’ai non seulement eu la chance d’épouser une femme que j’aime profondément, mais elle se trouve à être en plus la personne la plus brillante que je connaisse. C’est elle qui m’a encouragé à obtenir de l’aide. C’est elle qui m’a dit que nous trouverions des solutions. Et c’est ce que nous faisons depuis ce temps. »

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