L’héritage du Dr Emerson Douyon

Reportages

Si le Service correctionnel du Canada (SCC) se montre de plus en plus sensible aux besoins des délinquants ethnoculturels, c’est en grande partie grâce au travail acharné et surtout passionné du Dr Emerson Douyon, véritable pionnier en la matière, sans oublier le regretté Marcel Kabundi, membre du personnel du SCC.

Psychologue de réputation internationale et professeur de la faculté de criminologie à l’Université de Montréal, Emerson Douyon a pris sa retraite en 2011. Il a cependant accepté de transmettre sa mémoire de l’organisation dans un ouvrage qu’il a rédigé bénévolement pour le Service correctionnel. Le livre intitulé Les minorités ethnoculturelles et le système correctionnel canadien a été publié par le SCC en 2017, à titre posthume, quelques mois après le départ de M. Douyon, décédé en juillet 2016.

Pour son auteur, cet ouvrage se présente comme « une modeste contribution à la mémoire institutionnelle du SCC », peut-on lire dans l’introduction. Mais pour le commissaire Don Head, qui en signe la préface, il s’agit aussi d’une « contribution personnelle et importante sur l’idée ethnoculturelle (…) et sur son développement au SCC ».

Il faut savoir que le Dr Emerson Douyon a participé à la mise sur pied du Comité consultatif régional ethnoculturel (CCRE) du SCC, en 1999, et en a assumé la présidence pendant plus de dix ans. Ce comité s’est ensuite multiplié par cinq pour ainsi voir le jour dans chacune des régions et le Comité consultatif national ethnoculturel (CCNE) a été établi. Les deux comités ont pour mandat de conseiller le SCC sur les services et interventions nécessaires à la réinsertion sociale réussie des délinquants appartenant à des minorités ethniques.

De par ses réflexions, ses études, ses conseils et ses recommandations, tous s’entendent pour dire que le Dr Douyon a permis d’améliorer la situation du multiculturalisme au sein de l’organisation ainsi que les services offerts aux délinquants ethnoculturels. C’est d’ailleurs le comité consultatif qui est à l’origine de la Formation sur la diversité et les compétences culturelles, obligatoire pour le personnel du Service correctionnel.

Marianne Harvey, qui a partagé sa vie avec Emerson Douyon pendant plus de 40 ans, raconte avec beaucoup d’admiration que son défunt mari a « toujours eu le plus grand respect pour l’être humain. Pour lui, le délinquant était une personne avant d’être défini comme membre d’une minorité. Emerson était intéressé par tout, dit-elle. Mais la ligne directrice de son cheminement fut vraiment le désir de venir en aide aux minorités en difficulté. »

Dr Douyon le souligne d’ailleurs dans l’introduction de son livre : « Derrière chaque type de crime que sanctionne la loi, il y a l’être humain avec ses traditions, ses valeurs, son parcours migratoire et l’histoire de sa confrontation à la culture des autres. »

C’est dans cette optique qu’il a collaboré, pendant plusieurs années, avec de multiples personnes et organismes engagés auprès des clientèles vulnérables, et particulièrement auprès des jeunes contrevenants issus de minorités culturelles.

Pour avoir grandi en Haïti, et y avoir travaillé comme jeune psychologue, Emerson Douyon a été marqué par les conditions de détention déplorables des enfants incarcérés avec des adultes. Plus tard, au Québec, il s’est rapidement investi auprès des minorités ethnoculturelles. « Il savait à quel point devoir s’expatrier et s’adapter ailleurs peut constituer un grand défi et combien le parcours peut être semé d’embûches pour un jeune ‘différent’ », partage également Marianne Harvey.

L’ouvrage de M. Douyon aborde évidemment la particularité des besoins des délinquants ethnoculturels, mais aussi le profilage racial et la délicate question des accommodements raisonnables, en plus de retracer l’émergence de l’idée ethnoculturelle au SCC.

On y apprend aussi que c’est à titre d’expert agréé de l’Ordre des psychologues du Québec qu’Emerson Douyon a découvert la réalité de la condition carcérale au Canada. Il avait alors été mandaté « d’explorer la possibilité d’entrer en contact avec les psychologues du Service correctionnel du Canada en vue d’une inspection professionnelle de routine ».

Autre fait intéressant, « plusieurs employés du SCC ont eu le Dr Douyon comme professeur à l’université, raconte l’agent de projet principal, Donat-Tshibasu Bilomba, qui a collaboré avec M. Douyon de 2002 à 2016. C’était une personne très respectée, ajoute Donat. Un homme sage qui écoutait beaucoup et qui donnait de bons conseils, basés sur son expérience. » Il a été dédié jusqu’à la fin, en écrivant le livre à la main. Quand son médecin lui a conseillé de cesser d’écrire, il a dicté le reste du livre!

Il confie que le Dr Douyon l’a marqué par plusieurs de ses enseignements. « Il n’était pas d’accord quand les gens prétendaient qu’on ne pouvait rien contre des lois ou certaines règles qui pouvaient s’avérer problématiques. Il disait souvent que les lois avaient été écrites par des êtres humains, et que ça prenait donc des êtres humains pour les améliorer », se souvient Donat-Tshibasu Bilomba, sourire en coin.

Pas surprenant que le Dr Douyon soit devenu, en 2010, le premier titulaire du Prix du multiculturalisme, qui a été renommé, deux ans plus tard, Prix du multiculturalisme Emerson Douyon, en son honneur. En juin de chaque année, ce prix récompense la contribution d’une personne qui travaille au SCC ou qui a des rapports avec le Service, et à reconnaître ses efforts en vue d’accroître la sensibilité aux différences culturelles et d’améliorer les relations interraciales au sein du Service.

Chose certaine, M. Douyon s’est donné corps et âme à défendre les minorités ethnoculturelles et à faire reconnaître l’importance d’être à l’écoute de leurs besoins, particulièrement dans le système carcéral. Même s’il s’agit là d’un sempiternel combat et d’un enjeu en constante évolution, Dr Emerson Douyon semble avoir eu le sentiment du devoir accompli : « Sous le leadership éclairé de Don Head, le Service correctionnel est devenu un modèle pour l’équité à l’égard du personnel, la formation et l’équilibre des jurys, le type de relation entre les délinquants ethnoculturels et le personnel », écrit-t-il dans son ouvrage.

Le livre du Dr Emerson Douyon est disponible dans les deux langues officielles, sur le site Internet du SCC. 

Version originale française : 

Les minorités ethnoculturelles et le système correctionnel canadien

Version anglaise :

Ethnocultural Minorities and the Canadian Correctional System

Date de mise à jour :