L’histoire de Josée Gagné

Reportages

 

Ce jour de juillet 2012, lorsque Josée Gagné est entrée dans la rangée de la prison à sécurité maximale de Port-Cartier, elle a tout de suite senti qu’il s’y tramait quelque chose. Forte de ses huit années d’expérience en tant qu’agente correctionnelle, elle pouvait sentir la tension dans l’air. Les détenus du pavillon E avaient un comportement bizarre.
 

« Ils formaient un mur humain de sorte que l’on ne pouvait voir ce qui se passait derrière eux », relate-t-elle. Lorsqu’elle leur donne l’ordre de retourner chacun à leur cellule, l’un d’eux – un homme de petite taille – échelonne vers elle, le regard paniqué.
 

Alors qu’elle l’observe, Josée voit des taches de sang apparaître sur le tshirt blanc de l’homme. Derrière lui, un détenu, beaucoup plus costaud, le poignardait à répétition.
 

« Quarante-cinq fois », dit-elle, le regard vide.
 

Un autre officier tire une salve de gaz lacrymogène et au milieu des fumées de gaz l’assaillant est tourné vers Josée. « Il a levé les yeux au ciel », dit-elle, « et m’a sourit comme s’il avait un orgasme». Puis, l’équipe correctionnelle s’affaire à lui maîtriser et à sécuriser le périmètre. Il l’on prodigue les premiers soins à la victime qui est conduit au centre de soin avant de l’envoyer à l’hôpital en ambulance.

 

Miraculeusement, la victime a survécu.
 

Par la suite, Josée a appris qu’elle était la cible de l’attaque.
 

L’impact de l’incident sur Josée a été immédiat. « Cette nuit-là, j’ai fait des cauchemars. Au travail, lorsque je faisais mes rondes, je transpirais abondamment. Je ne me sentais pas bien. Je suis devenue agressive et méchante envers mes proches. Je me coupais progressivement des autres. Je ne voulais parler à personne. »
 

Quelques semaines plus tard, Josée a croisé la victime alors qu’on l’amenait à l’infirmerie. On avait transféré l’homme dans une autre unité où il bénéficiait d’une protection supplémentaire. L’homme a marché jusqu’à elle et s’est retourné pour la regarder. Il n’avait jamais beaucoup parlé aux un agents correctionnels auparavant, mais il lui a dit ces deux mots : « Merci beaucoup. »
 

« Je me suis mise à trembler comme une feuille », confie-t-elle. Josée a accompagné le détenu jusqu’à l’infirmerie et lorsqu’il a enlevé son t-shirt, elle a pu voir les blessures qui couvraient son corps. « C’est là que j’ai réalisé que c’était moi qui devais être la cible. Je suis sortie de l’infirmerie et j’ai éclaté en sanglots. J’ai rencontré un employé du Programme d’aide aux employés. »

 

Dans les jours et les mois qui ont suivi, Josée a commencé à éprouver tous les symptômes du trouble de stress post-traumatique (TSPT). « La nuit, les mêmes cauchemars revenaient sans cesse », dit-elle. « Je souffrais d’insomnie. J’avais des hallucinations et je croyais voir le détenu costaud qui venait dans ma chambre et qui poignardait mon conjoint. Je pouvais sentir l’odeur du sang. J’étais aux prises avec des crises de panique, à tel point que j’en perdais parfois connaissance. »
 

Josée a alors commencé à s’isoler et à avoir peur des gens. « Je ne pouvais plus aller dans les magasins. Me retrouver dans une foule me faisait paniquer. À la maison, je ne tolérais aucun bruit; ni télévision ni musique, et je ne voulais recevoir personne. Avant de me mettre au lit, je pouvais vérifier 20 fois que les portes étaient verrouillées et les fenêtres fermées. »
 

Puis, Josée est devenue suicidaire. « J’ai écrit une lettre à ma fille et à mon mari, puis je suis allée à l’écurie pour dire adieu à mon cheval », raconte-t-elle.
 

Son cheval avait déjà été maltraité et depuis, il ne laissait personne lui toucher la tête. Mais ce jour-là, lorsque Josée est allée le chercher pour le brosser, son cheval a dû percevoir sa détresse, il a placé doucement sa tête sur sa poitrine.
 

« J’ai éclaté en sanglots », ajoute-t-elle. « Il ne voulait plus s’éloigner de moi. J’ai reculé. Il s’est avancé vers moi. Chaque fois que je m’éloignais, il se rapprochait et posait sa tête sur ma poitrine. Finalement, j’étais acculée à la porte et il pressait doucement sa tête contre moi. Nous sommes restés là près d’une heure.
 

« J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps pour finalement comprendre que ce que j’allais faire était inacceptable. J’allais abandonner ma fille, ma famille et tous mes rêves. À partir de ce moment, j’ai décidé de me battre pour reprendre ma vie en main. »

 

Cela n’a pas été facile. Au cours des cinq années qui ont suivi, Josée a dû combattre la dépression et les troubles anxieux et le sentiment oppressant d’avoir perdu une partie de son âme ce jour-là. « Depuis ce jour, je ne suis plus que l’ombre de moi-même. Auparavant, je riais pour un rien, je plaisantais avec tout le monde, ma bonne humeur était contagieuse. Mais aujourd’hui, j’ai l’impression que cette Josée-là est morte en ce jour fatidique. »
 

***
 

À partir de ce moment, Josée a su qu’elle retournerait au travail. « J’aime mon travail », dit-elle. « Il n’était pas question que je démissionne. »
 

En fait, avant d’être arrêtée par le médecin, « Je craignais le jugement de mes collègues », dit-elle. « On ne veut pas avoir l’air faible. Surtout pas moi. J’étais chargée de  la formation des nouvelles recrues. Ma réputation en a souffert énormément. Avant mon départ, j’avais déjà entendu des commentaires à propos de ceux qui prennent des congés pour cause de santé mentale. On disait qu’ils abusent du système. »

 

« J’avais l’impression que ma carrière était finie. J’étais étiquetée. J’avais besoin d’aide, alors j’étais "faible". »
 

Au cours des trois ou quatre années qui ont suivi, Josée a cherché de l’aide auprès de psychiatres, de psychologues et d’autres thérapeutes. À travers toutes ces expériences, un constat s’est dessiné. « En matière de santé mentale », dit-elle, « la guérison n’est pas rapide. Ce n’est pas comme lorsqu’on se casse une jambe. Il faut du temps, beaucoup de temps. Je serai marquée par cet évènement pour le reste de ma vie. C’est un fait indéniable. »
 

Sa réinsertion comme agente correctionnelle à l’Établissement de PortCartier ne s’est pas faite sans difficulté. « Certains collègues se réjouissaient de mon retour », dit-elle. « D’autres ont tout simplement cessé de me parler. J’ai l’impression que ceux-là avaient peur que je sois incapable de réagir adéquatement si une intervention s’avérait nécessaire. »
 

Parmi les employés de première ligne des pénitenciers fédéraux du Canada, ces craintes sont probablement celles qui stigmatisent le plus ceux qui ont souffert d’un problème de santé mentale grave. Dans une situation dangereuse ou un environnement instable, certains hésitent à confier une partie de leur sécurité à un collègue ayant des antécédents de TSPT.
 

« C’est facile de supposer qu’une personne qui a subi un traumatisme sur son lieu de travail est incapable d’exercer ses fonctions correctement », déclare Josée, « mais c’est peut-être le contraire qui est vrai. Peut-être que cette personne est maintenant bien plus vigilante que les autres précisément à cause de son expérience. »
 

L’ironie de la situation, c’est que la plupart des agents correctionnels de première ligne ont, d’une façon ou d’une autre, été marqués par les choses qu’ils ont vues et les expériences qu’ils ont vécues. Josée est convaincue que de nombreux collègues partagent son expérience.
 

« Lorsque vous travaillez dans un établissement correctionnel fédéral, vous voyez des choses que personne d’autre ne verra jamais. Il ne fait aucun doute que d’autres collègues, dans d’autres établissements correctionnels, souffrent de TSPT. Il est impossible de travailler dans un environnement aussi dangereux sans être affecté. »
 

« Depuis que je travaille au SCC », dit-elle, « on m’a aspergée d’urine, craché au visage, coupée avec une lame et piquée au poignet avec une aiguille. On m’a menacée de mort et j’ai eu des altercations physiques et verbales. J’ai vu des détenus se faire battre au point d’être méconnaissables et intervenu sur des détenus qui s’automutilaient à un tel point qu’ils devaient être contentionnés. »

 

En dépit de la prévalence des problèmes de santé mentale chez les agents correctionnels fédéraux de première ligne, le TSPT demeure largement méconnu, non seulement au sein des établissements, mais aussi chez le public canadien.
 

« Les Canadiens pourraient penser que ces risques viennent avec la fonction », déclare Josée, « mais ceux qui postulent ces emplois ne le font pas pour être agressés, pour se faire cracher dessus ou pour se faire poignarder. On travaille, avec les gens de la société qui ont été condamnés pour la plupart, pour les pires crimes au Canada. Une grande majorité d’entre eux n’ont rien à perdre. On nous embauche pour assurer la sécurité du public et des détenus, mais nous devons également préserver notre santé mentale et physique. »
 

Josée croit que le personnel du SCC doit à tout le moins amorcer la discussion sur le sujet. « Nous devons être à l’écoute de nos collègues », ajoute-t-elle. « Quand nous traversons un moment difficile, nous devons pouvoir le dire. C’est lorsque nous sommes au bout du rouleau que nous sommes le plus à risque. C’est à ce moment-là que nous pouvons tomber et nous infliger des blessures émotionnelles. C’est quand on fait la sourde oreille qu’on est le plus à risque. »

Date de mise à jour :

Commentaires

Cfrenette

Il est vrai que nous faisons un métier à risque, c'est un milieux fermé, peut de gens connaissent se qui se passe derrière les murs d'un pénitencier. Les agents correctionnels peuvent vivre des moments très difficile et l'accumulation de stress ne se voit pas toujours et lorsqu'un agent éprouve des difficultés d'ordre psychologique, il est souvent jugé par ses pairs. Souvent les problèmes vécus n'appartiennent pas seulement à l'agent mais la famille est très souvent touché. C'est pourquoi je me suis impliqué dans le Programme d'aide aux Employés. Il ne faut pas hésiter, l'agent doit quand il en ressent le besoin contacter le PAE ou un membre de sa famille contacter un membre du PAE de l'établissement. Nous sommes des équipes qui peuvent écouter et aider l'agent ou à famille afin de trouver des ressources. A tous les agents et leur famille, le PAE est confidentiel et nous sommes là pour vous aider. N'hésitez pas!

Manon22

Je comprends tellement, moi je suis infirmière en arrêt de travail depuis 3 ans pour TSPT.Je suis dans cet état suite à un événement traumatique vécu dans mon établissement. Ce que j'ai de la difficulté à comprendre, c'est que mon employeur me demande de prendre une décision face à mon avenir au scc, mais je ne suis pas encore en mesure de le savoir. On me donne jusqu'au 15 mai prochain, pour me prononcer. Je dois soit : démissionner, ou bien prendre une retraite médicale, je peux aussi dans un avenir rapprochée retourner au travail, alors que je ne suis toujours pas consolidé , ou bien je serai licencié pour raisons administratives. Comment se fait il que nous ne soyons pas mieux protègé? Notre travail est très exigeants et nous sommes des êtres humains avec des sentiments. Je ne devrais pas du tout avoir à me battre pour garder mon emploi au contraire, on devrait plutôt m'aider. Maintenant au scc on donne des formations pour les employés afin qu'ils soient à l'écoute de certains symptômes pour eux ou leurs pairs. Le scc dit vouloir aider ses employés, mais de quelle façon? Dans mon cas, on ne m'aide pas du tout. De voir que tu te portes bien, me fait du bien, je peux enfin croire que je pourrai moi aussi un jour etre moins envahi par toutes ces pensées. Guylaine Lavoie infirmière CRR/USD.

OfficerDLaronde

Been the done that same thing I had this happen although not the exact same thing some very similar I suffered from PTSD but lucky for me I think I had PTSD light. I am far from it not having seen a shrink and psychologist for my troubles today years later I think of it as a protection system and I told my shrink I will never be a victim to a convict as they have already laid to many to waste in their crime cycles.

tyrrelllj

Thank you for sharing.

Mitchell

You are so brave and strong, keeping going. Thank you so much for sharing your story.

Sylvain Gilles ...

Je comprends tellement ce qui dit Josée, je sympathise avec toi. Reste forte tu a mon appui. Ce que tu décrit ici est véridique dans tout les points, la loi du milieu. Malheureusement, nos confrères et consœurs portent trop souvent des commentaires et jugement sans savoir la vérité et les faits et circonstance. Enfin tu ouvre une porte pour ouvrir la discussion une étape cruciale dans la guérison.

Sylvain Martel
GCU
Drummond