Présentation des photos signalétiques : l’histoire de la photo signalétique

Par Dave St. Onge et Cameron Willis
Conservateurs, Musée pénitentiaire du Canada

La prise de photos signalétiques et d’empreintes digitales est une procédure habituelle et largement reconnue lorsqu’une personne va en prison. Les forces de l’ordre en Europe ont commencé à photographier les criminels dans les années 1840. Pourtant, ça n’a pas été fait dans les prisons canadiennes avant le début du 20e siècle. Comment cela s’explique-t-il alors que le système pénitentiaire canadien a fait ses débuts en 1835?

Dès le début, le personnel des prisons avait réalisé qu’il était important de noter des renseignements descriptifs à propos de chaque personne qui était incarcérée dans les prisons. C’était particulièrement utile lorsqu’une personne s’évadait.

Detail of page from the Prisoner's Record -Kingston Penitentiary, 1843 -1890.
Détails d’une page du Registre
Kingston Penitentiary, 1843 -1890.
(Bibliothèque et Archives Canada. RG13 T2044 1047, page 1)

Lorsque de nouveaux détenus arrivaient à un pénitencier, leurs caractéristiques de base ainsi que le numéro d’inscription qui leur était assigné étaient inscrits dans un registre à colonnes. C’est ce qu’on appelait le Registre des détenus. Voici les caractéristiques qui étaient notées :

  • taille
  • poids
  • religion
  • métier
  • lieu d’origine
  • crime

Par la suite, des renseignements comme l’état matrimonial, la capacité à lire et à écrire, la consommation de tabac et d’alcool, les tatouages, les cicatrices et les caractéristiques uniques ont été ajoutés au registre.

Toutefois, les descriptions physiques dépendaient de l’évaluation subjective des agents. La description de l’apparence d’un individu faite par une personne peut différer considérablement de celle faite par une autre : ce qui est un teint clair pour une personne peut être décrit comme étant un teint pâle par une autre.

L’arrivée de la photographie

Grâce à l’arrivée de la photographie dans les années 1830, un nouvel outil précis d’identification était offert. Les organismes d’application de la loi en France et en Belgique ont été les premiers à photographier les criminels. On attribue au policier français Alphonse Bertillon la mise en forme standard de ces photos.

M. Bertillon a inventé le format courant de la « photo signalétique » avec des vues du visage et des épaules d’un criminel de face et de profil en 1879. M. Bertillon collectait aussi des mesures détaillées de diverses parties du corps des individus à des fins d’identification. Grâce à la dactyloscopie (prise d’empreintes digitales) mise en œuvre par le policier argentin Juan Vucetich en 1891, le système Bertillon a été adopté dans le monde entier.

« L’identification des criminels » était l’un des principaux points à l’ordre du jour de la Conférence des directeurs des pénitenciers du Dominion qui s’est tenue à Ottawa en janvier 1898. Toutefois, l’adoption de la prise de photos et d’empreintes digitales s’est faite de manière lente et graduelle. Les administrateurs des pénitenciers trouvaient qu’il y avait des choses plus importantes comme :

  • les programmes de classification;
  • la fourniture de travail aux délinquants;
  • la construction de nouvelles installations; et
  • la formation du personnel.

Il y avait aussi un désaccord en raison des coûts élevés associés au système Bertillon et au processus photographique et de la formation requise pour la mise en œuvre.

En raison des grandes distances au Canada et de la lenteur des déplacements et des communications au début du 20e siècle, les directeurs des pénitenciers avaient une autonomie considérable et mettaient en place ces systèmes de leur propre chef.

L’arrivée du système
Bertillon au Canada

 A page from the Kingston Penitentiary Identification Register showing the provided clothing, c.1910.
Une page du Registre d’identification du Pénitencier de Kingston où l’on voit les vêtements fournis, c.1910. (Bibliothèque et Archives Canada. RG73-C-6, numéro de volume/boîte : 558)

En 1902, le directeur du Pénitencier de la Colombie-Britannique, John C. Whyte, et le directeur du Pénitencier du Manitoba, Acheson Gosford Irvine, ont assisté au Congrès annuel des prisons américaines à Philadelphie. L’identification des criminels, et plus précisément le système Bertillon, était à l’ordre du jour de l’événement. Les deux directeurs sont revenus au Canada plein d’enthousiasme à propos de cette innovation.

Dans les deux établissements, les surveillants de l’hôpital ont entrepris de prendre les photos. Les surveillants de l’hôpital travaillaient avec le médecin de la prison pour gérer les hôpitaux des établissements. D’autres établissements, comme le Pénitencier de Kingston et le Pénitencier Saint-Vincent-de-Paul à Laval, au Québec, ont acheté ou fabriqué l’équipement requis. Il n’y avait toutefois pas assez de fonds pour former les photographes dans ces établissements.

Au mois d’octobre 1906, le sous-ministre de la Justice, Edmund Newcombe, a envoyé une note de service aux inspecteurs des pénitenciers à propos de l’introduction de la pratique normalisée de prendre en photo les détenus partout au Canada. Il y était aussi souligné la très grande importante que le ministre de la Justice, Sir Allen Aylesworth, accordait aux photos signalétiques. M. Aylesworth et M. Newcombe reconnaissaient que le coût et les difficultés potentielles des pénitenciers ne devraient pas être un obstacle.

Les premiers détenus photographiés

newspaper
Article qui annonce que les détenus ont commencé à être photographiés au Pénitencier de Kingston. (The Ottawa Citizen, 12 avril 1910. page 1)

Il a fallu encore plusieurs années pour que ce processus commence sérieusement. Les journaux ont rapporté que la première série de prises de photos signalétiques des détenus au Pénitencier de Kingston a commencé le 11 avril 1910. L’inspecteur Edward Foster de la Police fédérale était présent pour superviser. La Police fédérale, fondée en 1868, était le premier service de police fédéral au Canada et le précurseur de la Gendarmerie royale du Canada.

Les premières centaines de photos signalétiques prises étaient celles de prisonniers déjà incarcérés. Tous étaient vêtus de la même tenue civile et de la même cravate spéciales plutôt que de leur uniforme normal de prison.

Au début du mois de juin en 1910, la prise de photos et d’empreintes digitales des nouveaux prisonniers est devenue la norme au Pénitencier de Kingston. Le 5 octobre 1910, le sous directeur Albert B. Pipes du Pénitencier de Dorchester, au Nouveau-Brunswick, a rapporté que ses agents avaient aussi rattrapé le retard qu’ils avaient au pénitencier. L’année suivante, l’inspecteur Foster a mis en place un bureau national des empreintes et des photos signalétiques pour la Police fédérale et les pénitenciers ont commencé à envoyer des copies de leurs dossiers à Ottawa.

: image of man’s head and shoulders facing camera and profileReception image of men wearing their street clothes, Dorchester Penitentiary, 1919.  (Canada's Penitentiary Museum Collection)
Deux photos d’admission d’hommes portant leurs vêtements de ville, Pénitencier de Dorchester, 1919. (Collection du Musée pénitentiaire du Canada)

Photographier les détenus devient une pratique courante

Dans les années 1920, la pratique de prendre en photo les détenus était bien établie partout au pays. Les services d’admission et de libération faisaient généralement partie du secteur du gardien en chef de chaque établissement. La pratique courante était de prendre une photo lors de l’admission « dans la condition et dans les vêtements dans lesquels ils arrivaient », comme l’expliquait le directeur W. Meighen du Pénitencier du Manitoba. Une autre photo était prise lorsque le prisonnier était propre, rasé et vêtu de l’uniforme de l’établissement.

Image of inmate 983 at B.C. Penitentiary illustrating his appearance upon arrival in a suitImage of inmate 983 in prison clothes at B.C. Penitentiary illustrating his appearance after undergoing the admission procedures. c1906
Deux images du détenu 983 au Pénitencier de la Colombie-Britannique qui illustre son apparence à son arrivée et son apparence après les procédures d’admission. c1906. (Collection du Musée pénitentiaire du Canada.)
 

À ce moment-là, des renseignements très détaillés étaient inscrits dans le Registre des détenus. Avant leur libération, une troisième photo était prise du prisonnier qui serait bientôt libéré en tenue de ville des libérés – en espérant que le détenu ne serait plus jamais photographié ainsi à nouveau.

Offender Joseph Perry at reception in collared shirt with hair.Offender Joseph Perry on admission (1936) in prison clothes with shaved head.Offender Joseph Perry at discharge (1938) in suit with full hair. Une série illustrant les trois étapes de la prise de photos des détenus : la réception, l’admission (1936) et la libération (1938).  (Collection du Musée pénitentiaire du Canada.)

Un aperçu de
l’histoire canadienne

Les photos signalétiques sont importantes puisqu’elles peuvent être la seule image de l’apparence d’une personne ou d’une certaine époque. Les premières photos signalétiques illustrent une portion de la population canadienne à un moment donné. Malheureusement, la population en dessous du seuil de la pauvreté est souvent ignorée ou oubliée dans les documents historiques, est la plus représentée.

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