Récit de Michael Doucette

Reportages

Le gestionnaire correctionnel Michael Doucette a vécu plusieurs événements traumatisants en raison de sa carrière de 23 ans à l’Établissement de l’Atlantique et de son travail d’ambulancier bénévole dans sa collectivité. Durant la majeure partie de cette période, il n’a pas eu l’impression que ces événements avaient un effet négatif sur lui. Il les a abordés avec la même attitude que bien des gens, se disant : « Je suis capable d’en prendre. Je peux gérer ça. C’est la voie que j’ai choisie. » Mais tout cela a changé il y a cinq ans, durant un quart de nuit ordinaire, alors qu’il était le gestionnaire de service.

 

« Un détenu avait subi une agression grave et avait été poignardé au cou. Il perdait son sang. Pendant que nous attendions l’arrivée de l’ambulance, deux agents bouchaient les trous dans son cou, et il m’a regardé durant tout ce temps‑là. Il m’a demandé de téléphoner à sa mère. Je n’oublierai jamais son regard. »

 

À l’époque, Michael n’a pas fait grand cas de l’événement. Malgré le caractère traumatisant de la situation, il avait vécu de nombreuses expériences du genre auparavant, et ce n’était rien de nouveau pour lui. Cependant, deux semaines plus tard, les choses ont commencé à changer. Il n’arrivait plus à manger ni à dormir et voyait le visage du détenu à la place de celui d’autres personnes. Mais il refusait tout de même de reconnaître ce qui lui arrivait.

 

« Je pense qu’objectivement, je savais ce qui se passait, mais je pensais encore pouvoir gérer ça tout seul. Je ne voulais pas admettre que mon travail avait fini par m’atteindre. Je ne voulais pas passer pour un faible. »

 

D’après Michael, cette attitude est courante chez les travailleurs correctionnels de première ligne. Il y a une stigmatisation associée au fait d’admettre qu’on est aux prises avec une blessure psychologique. On est alors perçu comme quelqu’un d’inférieur qui abuse du système ou qui se cherche des excuses. Cela fait partie de la culture existante, selon Michael et un grand nombre d’autres travailleurs de première ligne.

 

Au bout de plusieurs mois, les symptômes de Michael ont continué d’empirer. Il s’est isolé de sa famille et de ses amis. Il a eu des problèmes personnels à la maison. Il est devenu colérique, irritable et anxieux. Et il a eu des troubles de sommeil et d’appétit. S’il reconnaît qu’il faisait alors du déni, ses proches, eux, voyaient bien ce qui se passait. Ils l’ont encouragé à obtenir de l’aide par l’intermédiaire du Programme d’aide aux employés. Michael a ensuite été aiguillé vers son médecin de famille, qui l’a orienté vers un psychiatre. Près d’un an après l’incident survenu à l’établissement ce soir‑là, Michael a reçu un diagnostic de trouble de stress post‑traumatique (TSPT).

 

Même s’il avait travaillé tout au long de l’année, son psychiatre lui a suggéré de prendre congé pour s’occuper de lui‑même et se rétablir. Il n’a pas travaillé pendant deux ans. Par la suite, il est retourné au travail et, pour reprendre ses mots, il est relativement redevenu lui‑même. Il s’épanouit dans ses fonctions de gestionnaire correctionnel, mais de façons auxquelles il ne se serait jamais attendu avant son diagnostic.

 

« Cela m’a insufflé une empathie envers mes collègues que je n’avais pas auparavant. Dans mon rôle de gestionnaire, je suis mieux à même d’être un mentor et un entraîneur plutôt qu’un simple patron. Le fait d’avoir vécu cela m’a donné une sorte de crédibilité auprès des employés qui sont aux prises avec les mêmes problèmes. Selon une attitude répandue chez les travailleurs correctionnels, on ne peut pas comprendre une situation tant qu’on ne l’a pas vécue. Eh bien, j’ai vécu ça et je sais ce que c’est. »

 

D’après l’expérience de Michael, les blessures psychologiques en milieu de travail sont très fréquentes au sein du SCC. Il estime que, pour chaque personne qui partage son histoire et qui demande de l’aide, trois ne le font pas.

 

« Certaines personnes ont de la difficulté à composer avec ce qu’elles vivent. Que ce soit en consommant de l’alcool ou de la drogue ou encore en s’isolant, elles cherchent des moyens de tenir le coup. Regardez le taux de divorce des travailleurs correctionnels : il atteint des sommets. Il y a une raison à cela. Les gens souffrent, mais soit ils n’en sont pas conscients, soit ils refusent de le reconnaître en raison des préjugés associés à cela ou d’un manque d’information à propos de ce problème. »

 

En tant que gestionnaire, Michael est d’avis que lui et toutes les autres personnes dans de telles fonctions jouent un rôle essentiel pour ce qui est d’aborder la question des blessures psychologiques en milieu de travail au SCC.

 

« Les employés veulent qu’on fasse preuve d’empathie à leur égard. Ils veulent qu’on mette fin aux préjugés. À titre de gestionnaires, nous ne pouvons pas changer l’opinion des gens, mais nous pouvons changer notre façon de parler du problème. Les employés qui ont subi des atteintes à la santé mentale veulent être traités avec compassion et respect. Ils veulent être traités de la même façon qu’une personne qui s’est cassé la jambe en ski ou qui a contracté le diabète et qui a besoin de prendre congé pour se soigner. Tant que nous n’ouvrirons pas le dialogue et que nous n’aborderons pas ce problème avec professionnalisme et respect, rien ne changera. »

 

Il y a également d’autres obstacles qui, selon Michael, se dressent devant les employés aux prises avec ce genre de difficultés. En effet, comme les commissions des accidents de travail varient de province en province, certains travailleurs seraient moins bien traités que d’autres. C’est un problème important, car cela finit par les forcer à choisir entre leur bien‑être financier et leur santé mentale.

 

« La seule chose plus stressante que d’être aux prises avec une atteinte à la santé mentale, c’est d’avoir une telle blessure sans savoir si on pourra payer son hypothèque. Alors, des personnes qui ne devraient vraiment pas travailler continuent de le faire parce que leur demande de prestations a été refusée ou que leur rémunération ne leur permettra pas de subvenir aux besoins de leur famille. La nécessité de mettre de la nourriture sur la table l’emporte sur celle de prendre congé, et c’est un gros problème. »

 

Michael pense que le fait de travailler avec nos partenaires provinciaux en vue d’établir une approche plus normalisée en matière d’indemnisation des travailleurs serait très bénéfique pour les employés du SCC. En effet, on pourrait ainsi s’assurer que tout le monde reçoit le même niveau de traitement, peu importe le lieu de travail. En outre, il trouve que les services de santé mentale destinés aux gestionnaires correctionnels du SCC sont lacunaires et qu’il faudrait se pencher sur cette question.

 

« À titre de gestionnaire, dès qu’un incident survient dans l’établissement, je dois notamment m’assurer que les employés connaissent l’existence du PAE et organiser une séance de gestion du stress à la suite d’un incident critique. Dans mon cas, à la suite de l’incident qui a causé mon TSPT, j’ai organisé une telle séance; mais comme j’étais le gestionnaire, on m’a demandé de ne pas y participer. Le but de cette restriction est de permettre aux employés de s’exprimer sans que leur supérieur soit dans la pièce. C’est compréhensible, mais il n’y a vraiment aucune mesure prévue pour nous. La direction nous voit comme des agents, et les employés nous voient comme des membres de la direction. Nous sommes un peu laissés à nous‑mêmes pour ce genre de choses. Les services offerts ne s’adressent pas à nous. Je ne pense pas que ce soit une omission délibérée – c’est un simple oubli, mais nous devons y remédier. »

 

Malgré les améliorations qui s’imposent, selon lui, pour mieux soutenir les employés aux prises avec des atteintes à la santé mentale, Michael voit d’un bon œil le travail réalisé à ce jour. Le Comité directeur sur les atteintes à la santé mentale en milieu de travail offre une lueur d’espoir qui le rend optimiste à propos de ce qui s’en vient pour les employés du SCC.

 

« Cela fait longtemps que nous devons aborder cette question, et c’est pourquoi je suis si heureux de m’impliquer. Si je partage mon histoire, peut‑être que quelqu’un d’autre sortira de l’ombre et fera de même. Peut‑être que quelqu’un obtiendra enfin l’aide dont il a besoin. Nous ne pouvons plus ignorer ce problème. C’est un problème réel. Et il a des répercussions sur le Service. »

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