Récit de Scott Macfarlane

Reportages

Avant de travailler pour le SCC à titre d’adjoint à la gestion des cas dans un bureau de libération conditionnelle de la Saskatchewan, Scott Macfarlane a été soldat dans les Forces canadiennes durant 21 ans. Comme de nombreux ex‑militaires, Scott souffre d’une atteinte à la santé mentale découlant de son emploi. Se joindre au SCC en 2008 après sa carrière militaire a été salutaire pour lui.

 

« Après mon départ de l’armée, je me voyais partir à la retraite et réaliser mes propres projets, mais je n’ai pas pu le faire à cause des atteintes à ma santé mentale. J’avais besoin d’une vie plus structurée, alors je me suis inscrit au programme d’embauche prioritaire, et ce poste a été annoncé. Comme j’avais épousé une femme de la région, j’ai accepté le premier emploi qui m’a été offert, et je suis resté ici. »

 

Les atteintes à la santé mentale de Scott sont dues à son travail dans l’armée – un travail qu’un grand nombre d’entre nous ne pourraient pas imaginer faire ou auquel on ne pourrait pas imaginer survivre.

 

« La première atteinte à ma santé mentale est survenue lors d’une opération en sol canadien. Nous sommes intervenus à la suite de l’écrasement du vol 111 de Swissair en 1998 près de la Nouvelle‑Écosse. Encore aujourd’hui, l’odeur du carburant d’avion, des animaux morts ou des détritus et la vue d’une génératrice jaune sont des éléments déclencheurs pour moi. La génératrice est l’une des choses que je me rappelle avoir vues dans le brouillard lorsque nous déplacions des restes humains vers une tente sur le site de l’écrasement. »

 

« Il y a également eu deux autres incidents majeurs durant ma carrière militaire. D’abord, un de mes subordonnés a été tué; et puis, il y a eu la fois où j’ai participé à l’excavation d’une fosse commune en Bosnie. Comme vous le savez probablement, si une personne atteinte d’un trouble de stress post‑traumatique (TSPT) ne se fait pas traiter pour l’atteinte initiale à sa santé mentale, chaque nouvel incident traumatisant est amplifié de façon exponentielle. C’est ce qui m’est arrivé. »

 

Scott se rappelle que quelque chose allait de travers après l’atteinte initiale à sa santé mentale, mais qu’il a néanmoins continué à mener sa vie comme d’habitude. Six mois plus tard, ses symptômes se sont aggravés. Malgré tout, il n’a pas demandé d’aide jusqu’à ce qu’il revienne de Bosnie en 2006 et qu’il éprouve alors de la difficulté à fonctionner normalement. Ainsi, de 1998 à 2006, Scott a vécu avec un trouble non diagnostiqué. Quand la situation a fini par devenir insupportable, il a enfin demandé de l’aide.

 

Même si Scott ne comprenait pas tout à fait ce qu’il lui arrivait à l’époque, il se rappelle que, durant la période ayant précédé son traitement, il était devenu hypervigilant et plus renfermé.

 

« Mon état avait tellement dégénéré en 2006 que je n’arrivais plus à me souvenir de mes conversations avec mes collègues de travail et les membres de ma famille. Ma capacité d’assimiler l’information était devenue très limitée, et ma réaction de lutte ou de fuite était exacerbée. Par exemple, si ma femme et moi nous disputions – comme cela arrive à bien des couples – je vivais la chose très intensément et je voulais m’extirper de cette situation, alors je partais ou j’essayais de trouver un moyen de sortir. Ma capacité de résilience était nettement réduite. »

 

Scott a aussi été aux prises avec de l’insomnie, des cauchemars et la culpabilité du survivant.

 

« J’ai déjà été une personne joyeuse et dynamique, mais après ces événements, j’étais renfermé et taciturne, et je ne voulais pas m’ouvrir aux autres. Quand on vit de telles expériences, on ne veut pas parler aux autres de ce qu’on a vu par souci de ne pas les exposer à cela. Il y a donc une certaine peur qui s’installe; et, bien sûr, il y a aussi la peur d’avouer à soi‑même que quelque chose ne va pas. »

 

Quand l’épouse de Scott lui a fait comprendre qu’il avait besoin d’aide, il est allé voir un psychologue à l’hôpital de la base, mais il craignait de faire part de ses problèmes en raison de la stigmatisation et des éventuelles conséquences sur son emploi.

 

« J’étais en situation d’autorité dans l’armée, et j’avais peur de me confier parce que je ne voulais pas perdre mon poste, mais c’est exactement ce qui est arrivé. Dès que j’ai révélé à mon commandant que j’étais atteint d’un grave traumatisme lié au stress, on m’a immédiatement retiré de mes fonctions. Le jour même. C’était une tragédie pour moi. À peine six mois plus tôt, j’avais reçu une mention élogieuse du commandant pour mon bon travail. »

 

De plus, la vie personnelle de Scott était profondément touchée par les atteintes à sa santé mentale. Il a eu deux mariages ratés.

 

« On sait qu’on vit les mêmes problèmes que tout le monde, mais quand on souffre d’une blessure traumatique, ils sont amplifiés. Ce qui peut paraître normal pour quelqu’un peut sembler catastrophique pour une personne aux prises avec une atteinte à sa santé mentale. »

 

Scott a reçu un diagnostic de TSPT et de trouble dépressif majeur. Obtenir le diagnostic n’était pas la partie la plus difficile pour lui, cependant.

 

« On pense que sa vie s’améliorera immédiatement après le diagnostic, mais ça n’a pas été mon cas. Ma situation a empiré, car j’ai dû commencer à analyser tous les traumatismes que j’avais subis. Durant de nombreuses années, j’ai refoulé mes émotions, mais voilà que je devais soudainement commencer à les gérer. Je devais en parler. On m’a prescrit des médicaments, et ces derniers ont entraîné de graves effets secondaires. C’était horrible. »

 

Ces effets secondaires incluaient des bâillements, un appétit insatiable et une dysfonction sexuelle. Pour pallier les effets des antidépresseurs, Scott s’est fait prescrire des somnifères qui affectaient son humeur et faisaient en sorte qu’il était bien plus difficile pour lui de s’attaquer à son problème.

 

Même si Scott va beaucoup mieux aujourd’hui, il dit que son travail au SCC peut être un élément déclencheur pour lui, comme c’est le cas pour bien des gens qui sont aux prises avec une atteinte à la santé mentale.


« Quand, dans le cadre de mon travail quotidien, j’examine des dossiers de délinquants qui comprennent des déclarations de la victime ou des documents judiciaires qui décrivent des crimes, c’est difficile. Cela peut, en soi, causer une atteinte à la santé mentale. Cela peut aussi raviver une ancienne atteinte à la santé mentale ou en provoquer une seconde. La semaine dernière, j’ai parlé à mon médecin d’un dossier que je lisais, car maintenant, je suis conscient de ce qui peut déclencher des crises chez moi et je sais reconnaître les situations où j’ai besoin d’aide. »


Pour préserver sa santé mentale, Scott consulte un psychiatre quelques fois par année et un psychologue quelques fois par mois. Quand il était très malade, il voyait celui‑ci deux ou trois fois par semaine. Scott affirme qu’avoir cette atteinte à sa santé mentale est « un peu comme être alcoolique – il faut toujours être vigilant. » Il mène une vie très disciplinée, il fait régulièrement du yoga, il a une alimentation saine et il se tient en forme physiquement. C’est important pour lui, car il dit que le fait de négliger sa santé physique peut en fait aggraver ses symptômes associés au TSPT. En plus d’adopter un mode de vie sain, Scott participe à un groupe de soutien par les pairs formé d’anciens combattants. Cela lui rappelle qu’il n’est pas seul dans son combat, et il veut transmettre le même message aux autres personnes qui souffrent et se sentent seules.

 

« S’il y a un souvenir qui ressort de toute cette expérience, c’est le jour où je suis allé à ma première réunion de groupe et que j’ai écouté les histoires des autres participants. Nous n’entrons pas dans les détails de nos traumatismes personnels, mais nous parlons de nos symptômes; et le fait de m’asseoir dans une pièce et d’écouter quelqu’un dire qu’il éprouve exactement les mêmes symptômes que moi m’a fait me sentir normal, car il est facile de penser qu’il y a quelque chose qui cloche en nous, alors que ce n’est tout simplement pas le cas. »

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