Par William Chippeway, agent de liaison autochtone dans la collectivité, Bureau de libération conditionnelle d’Edmonton
À l’été 1967, la ville de Winnipeg, au Manitoba, accueillait les Jeux panaméricains. C’était la première fois qu’un événement d’une telle envergure se déroulait dans la ville. Durant les jours précédant la cérémonie d’ouverture, la flamme des Jeux panaméricains devait être portée de Saint‑Paul, au Minnesota, jusqu’à Winnipeg. Les organisateurs du relais de la flamme avaient choisi dix coureurs autochtones pour transporter le flambeau jusqu’à la ligne d’arrivée. Tous les coureurs, à une exception près, étaient issus de pensionnats au Manitoba. La course débuta officiellement le 17 juillet 1967, lorsqu’on alluma le flambeau devant le Capitole du Minnesota. Pendant cinq jours, sur une distance de plus de 800 km, les coureurs, accompagnés d’un agent de la sûreté de l’État, suivirent une ancienne route qu’empruntaient jadis des Autochtones pour livrer le courrier entre les États-Unis et le Canada.
J’étais parmi ces coureurs qu’on avait choisis pour leur endurance exceptionnelle (une habileté qui, sans doute, nous vient de nos ancêtres, et qui s’est développée alors que nous apprenions à assurer notre subsistance). Lorsque nous courions, nous pouvions sentir le rythme de la Terre, le battement de son cœur qui nous accompagnait. C’était en elle que nous puisions notre force et notre endurance. Nous pouvions la sentir qui nous soulevait alors que nos pieds foulaient son sol. Nous pouvions percevoir les voix de nos Ancêtres qui nous encourageaient à continuer.
Le plan de la course à relais, comme nous l’avions compris, consistait à transporter la flamme jusqu’au stade de Winnipeg afin de la remettre à un autre athlète. Nous étions presque arrivés au stade lorsque le ciel se couvrit et qu’un rideau de pluie s’abattit sur la ville. Des représentants des Jeux nous arrêtèrent, et le flambeau fut remis à un athlète non autochtone, qui termina la course et gravit les marches menant à la vasque.
À l’époque, aucun d’entre nous n’avait compris que nous avions subi cette rebuffade à la fin de la course parce que nous étions autochtones. On nous escorta — tous à une exception près — à un restaurant du coin afin que nous puissions regarder la cérémonie d’ouverture des Jeux à la télévision.
En 1999, trois ans après la fermeture du dernier pensionnat indien, les organisateurs des Jeux panaméricains prirent contact avec moi et les autres coureurs, qui étions alors dans la cinquantaine. La ville de Winnipeg accueillait de nouveau les Jeux, et on nous demandait d’entrer dans le stade en portant la flamme. Ainsi la province et les organisateurs voulaient-ils nous laisser terminer la course, et réparer les erreurs du passé. Cette fois, un des relayeurs transporta le flambeau jusqu’au stade, et le remit à un jeune athlète autochtone, passant par ce geste la flamme à la nouvelle génération.
Dans nos cœurs, nous pouvions sentir que l’Esprit de nos ancêtres se réjouissait, car une grande partie du périple venait de s’accomplir.
La journaliste Laura Robinson a écrit une pièce de théâtre qui s’inspire de nos expériences, intitulée Front Runners. Il existe aussi un documentaire intitulé Run as One: Journey of the front runners qui réunit sept des dix coureurs afin qu’ils témoignent de leur expérience. Le terme « front runners » a été tiré d’une description des jeunes trappeurs autochtones qui s’élançaient au-devant des chiens de traîneau pour frayer des pistes. C’était un travail réservé aux plus rapides.
Mon témoignage à la Commission de vérité et réconciliation, en tant que survivant d’un pensionnat indien, a ravivé en moi de douloureux souvenirs d’enfance. L’abus dont j’ai été victime au pensionnat m’a brisé. J’étais impuissant, je ne pouvais en parler à personne. Après avoir subi une agression sexuelle, on ne veut pas en parler. J’avais honte de ce qui s’était produit, et j’avais mal, très mal.
J’ai décroché de l’école secondaire, je suis devenu alcoolique et toxicomane. Sans m’en rendre compte, j’avais pris un mauvais tournant et perdu le contrôle de ma vie. J’avais l’habitude de pleurer beaucoup quand je buvais, car de tristes souvenirs refaisaient surface pour empoisonner ma manière de penser et de vivre. Je me souviens des fois, au pensionnat, où courir était un moyen d’échapper à la torture que nous subissions au quotidien.
Pour nous, les coureurs, il ne fait pas de doute que les pensionnats indiens sont à la source des difficultés auxquelles la jeunesse autochtone est confrontée aujourd’hui. Mon expérience est semblable à celle de bien d’autres survivants des pensionnats, et je ne suis pas le seul à avoir été longtemps aux prises avec l’angoisse et la honte en permanence. Ces sentiments existent toujours, mais je sais comment les maîtriser, grâce aux liens que j’entretiens avec des Aînés. Je remercie le Créateur pour le bien qu’ils m’apportent.
En 2015, on a demandé une fois de plus aux coureurs d’être invités d’honneur aux Jeux panaméricains à Toronto, en Ontario. Actuellement, je poursuis mon cheminement afin de guérir des sévices qui m’ont été infligés au pensionnat. Je prends plaisir à donner des conférences dans les écoles, les universités, les bibliothèques, les centres religieux, et partout où l’on souhaite entendre l’histoire des coureurs.
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Nous désirons remercier William de nous avoir raconté son histoire. Visionner le court métrage documentaire de la CBC, Run as One: The journey of the front runners
Commentaires
awesome to read and awesome to share, its good to hear those experiences of getting back to who you are, your path so to speak. ongoing and as long as you keep in the right direction, its uplifting to hear. keep sharing, keep moving, keep educating!!
Wow! Thank you for honouring us with your truth Bill. It's so inspiring to read about your journey, especially how healing is happening and how you have moved on to educating others with your experiences. I have wondered how you were doing. We met on Warrior training in Edmonton back in 2005. Walk in beauty, Bill! Stay well.
We worked at Pe Sakastew center many years ago.
I am always moved by this story and the strength of the human spirit to heal and prosper.
This message is especially important in these tumultuous times.
Best Wishes
Wayne Hunt